• La seringue a tué le rire

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    Plus d'une fois j'ai pensé atteindre la rive, chaque fois je suis retombé ; sur mon bras droit est tatouée une seringue.
    Mon esprit est marqué.

    Combien d'années ont passé depuis que j'ai, mon sac de couchage sous le bras, fermé la porte de ma maison, depuis que j'ai fumé ma première pipe de hachisch ? Quatre, cinq ?
    Je ne veux pas y penser ! Je veux oublier !

    Quelques amis ont essayé de m'aider, puis sont repartis. Que pouvaient-ils faire ? Je ne vois pas la lourde porte de ma prison ni les barreaux à ma fenêtre. Quelque part dehors, dans Oslo qui se réveille après un long hiver, mon fils et ma femme m'attendent.

    Je rêve ! Des images défilent devant mes yeux, des souvenirs... Paris, l'Afrique, le hachisch, puis, en relief, une seringue, Istamboul, l'opium, Téhéran, l'héroïne...
    Tout est vague !
    Une seringue à mort lente !
    Ai-je vingt et un ans ou un siècle ?
    La seringue a tué le rire.

    La prison ne m'a pas changé. Souvent j'y ai séjourné, puis je suis reparti, de ville en ville, de pays en pays, pour fuir l'obsession. J'ai tenté avec violence de toucher la rive sans jamais y parvenir. Un jour je suis retourné à la maison, les bras percés, et lentement j'ai guéri. C'est très loin.

    Le brouillard se dispersait, je suis reparti, mes vieilles bottes aux pieds, retrouver les amis de la dernière heure.
    Les amis ? Non, la seringue !
    J'ai renié mes amis. J'ai renié jusqu'à l'idée de l'amour.
    J'ai renié la vie. J'ai vécu frileux et caché, sans lever la tête, une seringue dans la poche. Des jours, des années !

    Puis le soleil délicatement est venu sur mon couvre-lit à la clinique de Cery. Les semaines ont passé, j'ai refait mes premiers pas, le voile se levait mais des périodes sont restées obscures, puis j'ai pu rentrer chez moi quelques heures, avant de repartir.
    J'avais été expulsé !

    La route, un cahier de vers dans la poche, un livre de Nerval, les nuits dans les villes étrangères... sans fin... Dans un parc d'Oslo, j'ai rencontré une jeune fille merveilleuse avec un enfant.

    La veille de notre mariage j'ai été arrêté une fois de plus pour possession illégale de stupéfiants. Les journées passent, les semaines aussi.
    Dehors on m'attend.
    Deux fois par semaine elle vient me voir dix minutes, un geôlier me conduit au parloir...
    Encore une fois je vais essayer, je ne suis pas seul, et je lui dirai : Voilà, cette fois j'y arriverai !

    Combien d'années ont passé ?
    J'aimerais que cette lettre soit publiée. Si d'autres peuvent ainsi éviter cette voie, tout n'aura pas été inutile.

    Anonyme, Prison d'Oslo, le 31 mai 1970


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